Actuellement le Metropolis est devenu un resto japonais ou je vais bouffer à l'occasion. Ça ne m'était jamais venu à l'esprit auparavant - je vais assez souvent là bas - mais un jour j'étais assis là, et j'ai posé le regard sur le mur de brique qui était en face de moi, et je me suis dit "Oh mon Dieu, je suis au Metropolis!!! C'était le mur contre lequel jouaient tous ces groupes, tu comprend? The Replacement, Violent Femmes, Really Red, je pense que j'ai même vu Scream là, tu sais, le groupe de Dave Grohl. Et les U Men, et Gun Club... Charles Peterson (photographe du mouvement)
Dans l'histoire du Seattle Sound, on compte sur les doigts des deux mains les clubs qui ont laissé s'épanouir librement tous ces groupes punks naissant à l'aube des 80's. Tous sont d'ailleurs devenus plus ou moins mythiques pour tout bon fan de grunge qui se respecte. The Rainbow Tavern, par exemple, où Green River et Soundgarden ont donnés leurs premiers shows. The Gorilla Gardens, qui était avant tout une galerie d'art tenue par un ressortissant chinois irascible au possible. The Vogue, là ou eu lieu le tout premier concert à Seattle de Nirvana, en ouverture de Blood Circus. The Off Ramp, ou Mookie Blaylock (futur PJ) donna son premier show. The Showbox, The Grey Door, The Graven Image... Mais The Metropolis est sans conteste celui qui est resté dans toutes les mémoires...
Ben Shepherd (March of Crimes, Soundgarden) : La plupart des shows ou j'allais avaient lieu au Showbox ou au Metropolis. Le Metropolis faisait office d'excellence parmi tous ces clubs. On atteignait là bas comme une sorte de point culminant, considérant la musique que les gens jouaient, l'age de tout le monde à l'époque, et ce qui allait arriver par la suite.
Pourtant, la durée de vie du club fut très courte. On parle là de seulement deux années d'existence. 1983 à 1985. On a pu s'apercevoir tout au long des (désormais) nombreux messages de ce blog, que Seattle, au début des 80's, n'était pas vraiment agréable envers les punk rockeurs. Malgré ça, s'épanouissent quelques initiatives dénuées de tout intérêt personnel, comme celle d'Hugo Piottin, un gars à l'ouverture d'esprit certaine, qui se lance au début de l'année 1983 dans la création d'un lieu pour tous ces jeunes qui ont pleins de bonnes idées mais pas de moyens. Juste parce qu'il les connait, qu'il est ami avec eux, qu'il apprécie ce qu'ils font, et que eux ont besoin d'un port d'attache bien à eux pour continuer leurs aventures artistiques, Hugo dégote une ancienne taverne, probablement construite dans les années 20, et transformée par la suite en bar gay. Le gars a pas mal de fric de coté, il fait parti de ces types venus de partout autour du globe, ramasser des petites fortunes en allant pécher plusieurs mois non stop sur d'énormes bateaux qui sillonnent les eaux alaskaiennes... Car Hugo n'est pas de Seattle, et encore moins américain. C'est un bon petit français...
Hugo Piottin (propriétaire du Metropolis) : Je suis né à Lyon, France. Venu aux Etats Unis en 78. J'ai fini à Seattle, ou je me suis tout de suite connecté avec un groupe de jeunes à fond dans la production vidéo. Ils avaient tous dans les 20 ans, moi j'étais un peu plus vieux. On a pensé, ok, on a besoin d'un studio pour créer ces vidéos. J'avais des tunes à la banque qui venaient de mon dernier job de pécheur en Alaska, j'ai donc tout financé en mon nom propre. On a trouvé ce lieu sur Pioneer Square, qui s'appelait avant "the Love Canal". C'était un ancien bar gay.
Hugo fait de suite équipe avec deux jeunes amoureux transis : Gordon Doucette et Susan Silver (laquelle deviendra manager de Soundgarden et Alice In Chains, accessoirement Madame Cornell, et restera dans les annales comme une des personnes les plus influentes de la scène de Seattle). Dans un esprit coopératif proche du DIY, les trois tachent du mieux qu'ils peuvent de donner une atmosphère chaleureuse à cette vieille salle décatie, vide depuis des années... Une condition importante : le lieu sera ouvert à tous les ages, et bien sûr en priorité aux mineurs... On a ici affaire plus à un "community center" qu'à un club commercial...
Gordon Doucette : Hugo avait un cœur gros comme ça, et un tempérament plutôt tranquille, ce qui était somme toute une bonne combinaison. Son coté "cœur en or" avait vu qu'il y avait tous ces jeunes dans la rue qui s'emmerdaient, et aucun lieu pour les accueillir. On pouvait voir à l'époque toutes ces bandes de jeunes qui stationnaient devant des clubs où l'entrée leur était interdite car ils n'avaient pas l'age d'y être introduit, et qui venaient juste pour tenter d'écouter la musique qui venait du dedans. Donc le Metropolis était un rêve pour Hugo. Moi je voulais juste prendre part à cette aventure.
Hugo Piottin : J'adorais les concerts, le fait d'être ensemble dans un club. Je voulais un environnement non oppressif, non alcoolique. Les gosses avaient besoin d'un endroit où aller et se sentir chez eux. J'ai jamais organisé de concert qui ai couté plus de 4$. Je voulais un endroit créatif ou les gens pourraient se rencontrer, et être exposés à des idées artistiques et musicales qui les inspiraient. Je pense que ça a fonctionné!
Susan Silver : Je servais au bar, et juste à coté de moi, au bout de ce magnifique bar qui datait des années 20, il y avait Bruce Pavitt qui faisait le Dj. L'idée d'Hugo était de créer un lieu qui permette à tous de s'exprimer : écouter de la musique, regarder des films, travailler ensemble sur des projets artistiques. Et puis les besoins simplement financier sont arrivés, c'est comme ça que ça s'est transformé en salle de concert. Il y avait beaucoup de shows. Tu pouvais avoir Jah Wobble une nuit et TSOL celle d'après, ou GBH... Toutes les semaines nos affiches disaient : "Ouvert à tous". C'était vraiment un lieu pour se rencontrer, apprécier la musique, et aussi pour stimuler sa créativité. Beaucoup d'arts, de réunions communautaires...
Gordon Doucette : L’investissement de Susan au Metropolis était juste monumental. Elle était très futée coté business. Et c'est surtout une fille avec un grand cœur. Il y a des tonnes de clubs ou les proprios sont jamais présents, ou juste là pour récupérer le fric, mais Susan, Hugo et moi étions toujours là. 95% des gens qui passaient la porte du Metropolis nous connaissaient au moins de nom.
Le Metropolis devient vite le rendez vous des jeunes décalés de la ville, qui forment tout aussi rapidement une sorte de petite famille. Surtout, les fans de musique alternative ont désormais un endroit pour voir les groupes punks locaux et nationaux, et se retrouver ensemble, ce au sein d'une ville qui ignore complètement, à l'époque, leurs besoins. Le Metropolis aura donc un impact énorme sur l'éclosion de la scène punk naissante. Malheureusement, l'affaire ne dure pas :
Hugo Piottin : L'aventure du Metropolis a duré environ une année et demi. Ils nous avait laissé le lieu à la condition qu'on paie mois après mois. Juste à coté il y avait un immeuble qui avait été transformé en appartement de luxe. Et ils ne voulaient pas de ce genre de public - des gens qui s'asseyaient dans la rue, qui buvaient et faisaient du bruit...
Hugo et Susan continueront malgré tout pendant un temps à organiser des concerts dans d'autres lieux de la ville, comme le Moore Theater, avant qu'Hugo ne décide de tourner la page... La fin du Metropolis marquera du coup le début de la galère pour la communauté punk de la ville, qui se retrouve sans lieux ou se produire, et se retranche dans ce qu'on appellera les party houses... Rétrospectivement, le Metropolis apparaitra comme l'épicentre créatif de l'époque pour nombres des musiciens qui deviendront par la suite des figures majeures du mouvement grunge. Somme toute, comme l'un des lieux de naissance du Grunge...
Jason Finn (Skin Yard, Love Battery, Presidents of the USA) : En 1983, il y avait quelques clubs punk en ville. J'allais souvent au Metropolis, une à deux fois par semaine. Au bout d'un moment j'ai réalisé que c'était toujours un peu les mêmes têtes qu'on voyait à ces concerts. Tu commençais à parler avec ces gars et, éventuellement l'un d'eux jouait de la guitare ou autre chose. J'ai monté un groupe nommé Bad Credit avec des gens rencontrés au Metropolis, l'un d'entre eux était Mike Wells qui a atterri chez les Walkabouts par la suite. DOA venait souvent depuis Vancouver. March Of Crimes. Bundle Of Hiss, qui était le groupe de Kurt Danielson de TAD, c'était son premier groupe. Dan Peters de Mudhoney était dans ce groupe aussi. Silly Killers. Deranged Diction, qui avait dans ses rangs un très jeune punk nommé Jeff Ament.
Jeff Ament (Green River, Mother Love Bone, Pearl Jam) : Le Metropolis nous a vraiment aidé à grandir. C'était facile d'y avoir un show, même si ton groupe était pourri. Il y avait des shows 3, 4 ou 5 fois la semaine. Au bout d'un moment, je suis allé voir Hugo : "J'ai pas les moyens d'aller voir tous ces concerts. Est ce qu'il y a un taf que je peux faire ici?". Il m'a dit que je pouvais passer le balai après les concerts, en échange de quoi je pouvais y assister gratuitement. Une belle atmosphère, vraiment communautaire. Aussi un peu hippie, d'un certain point de vue.
Bruce Pavitt (co-fondateur de Sub Pop Records) : Ce lieu, qui avait été ouvert par un gentleman nommé Hugo, était une incroyable opportunité pour les jeunes musiciens, de jouer en face de leurs pairs. J'étais Dj là bas, c'était vraiment fun. Je passais du Minor Threat ou du Run DMC. Je me souviens Mark Arm en était, Steve Turner aussi, les gars de Mudhoney. Green River. Mr Epp y jouait, le groupe de Mark à l'époque. Donc vraiment un paquet de gars qui ensuite ont participé à faire éclater la scène de Seattle ont commencé là bas. Ne pas restreindre l'entrée aux mineurs est vraiment crucial pour n'importe quelle scène. Impliquer les jeunes dans l'art et une certain créativité, et leur donner une chance, c'est super important.
Mark Arm (Green River, Mudhoney) : Pour ceux de ma génération, le Metropolis a vraiment été important. Les groupes qui y jouaient étaient payés. Quand Mr Epp a joué là bas, c'était la tout première fois qu'on faisait la moindre tune avec le groupe. "Putain, je peux pas y croire : on a été payé 100$!!!!". Le Metropolis était un incubateur musical pour tous ces gars qui avaient moins de 21 ans. Un paquet de ces gars ont finit chez Soundgarden, Green River, Girl Trouble, Skin Yard, Feast, the Melvins, ou Nirvana. Buzz Osborne et Matt Lukin, que je connaissais vraiment bien, conduisaient presque tous les WE depuis Aberdeen pour aller au Metropolis. Ils dormaient par terre chez l'un ou l'autre d'entre nous, et le dimanche ils rentraient à Aberdeen. Parfois ils amenaient des amis, comme ce grand type qui s'est avéré être Krist Novoselic. Kurt Cobain venait aussi parfois. Ils amenaient des gens de tout type, ça allait du total stoner au futur lumberjack. Dale Crover était un de ces stoners avec une veste en peau de mouton et une moustache reluisante (rires)...
Parmi les photos : Ten Minute Warning et Duff McKagan, Deranged Diction... Ci-dessous quelques vidéos de Malfunkshun, des mythiques Husker Dü de Minneapolis, et des non moins mythiques the Accused live au Metropolis... Qualité pas trop mauvaise pour l'époque... Le blog d'Hugo Piottin ici. Le personnage est resté fidèle depuis 30 ans à cet esprit de partage qui le caractérisait... La page Facebook du Metropolis là, créée par Alex Shumway (Green River), avec des tonnes de photos d'époque...