Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

04/12/2020

Radical History, biographie impeccable des Thugs!!!

Je vous assure qu'il devrait y avoir plus de gens à aimer la musique des Thugs. Come on people!!! C'est un des plus grands groupes de rock au monde! Mon partenaire Bruce Pavitt m'a dit un jour : simply put John, they're too smart to be famous - Jonathan Poneman

Petit ado campagnard qui découvre le monde dans les années 90, je me souviens buguer régulièrement devant la vitrine du Black et Noir (les samedis de sortie à la ville pour aller chopper du disque). Dans mes petits souliers... Intimidé c'est sûr, des questions plein la tête c'est certain! Ne sachant que faire... Entrer? Pas entrer? Nan parce que le Black et Noir n'était pas un disquaire comme les autres. Pour moi pousser la porte équivalait à entrer dans une dimension parallèle, avec tous les risques que ça faisait prendre pour ma propre vie... Si si, je t'assure... Le Black et Noir puait une approche de la musique à des années lumières de ce que je pouvais connaître. Puait le danger. Puait l'indépendance. La rébellion. Et pour un ado sorti du trou du cul du monde, et dont pour ainsi dire mettre un pied dehors équivalait d'abord à éviter de marcher dans la première bouse de vache venue, pas encore tout à fait formé mentalement à penser par lui même, qui plus est un ado qui commençait à prendre gout à toutes ces guitares saturées venue de la lointaine Seattle, et bé ça interrogeait grave... 

Derrière cette vitrine il y avait un gars qui était la principale éminence grise du Sub(terranean) Pop punk rock angevin, une teigne pour ce qui concerne agir en toutes circonstances avec intégrité et conscience sociale, un chanteur guitariste d'un groupe à part dans le paysage rock hexagonal. Lequel groupe avait signé dès 1989 chez le label phare des années grunge, avant même l'explosion du même nom et dans les mêmes temps qu'un petit trio pouilleux d'Aberdeen WA. Tu entrais dans le Black et Noir et tu tombais sur Eric Sourice, anti rock star binoclard, et accessoirement fondateur des Thugs. La finalité de tout ça je l'ai pas appris tout de suite, c'est petit à petit que j'ai compris ce qu'était le Black et Noir, tout à la fois disquaire, label indé, et ce qu'il représentait en tant que pièce locale d'une révolution underground musicale globale, celle où on se contrefout de ce que les autres pensent de soi, où on fait les choses par soi même, où on se construit en même temps qu'on construit son groupe. Tout le contraire de ce que te proposait l'industrie du disque.

C'est à petit pas que je me suis rapproché de la musique des Thugs, et pour tout dire, je suis vraiment rentré dedans quand eux en sont sortis, au début des années 2000. Un temps de retard, mais rentré dedans comme on devient amoureux : avec fougue et toute la passion qui va avec. D'abord accessoirement les Thugs étaient le chainon manquant entre moi et Seattle. Comme si les savoir si proches géographiquement me donnait l'occasion de pouvoir toucher du doigt ma Mecque musicale à 8000km de là. Surtout les Thugs c'était cette agression sonique perpétuelle, ces guitares d'un rèche à te récurer les tympans dès la première note, ces putains de riffs tantôt à trancher à la tronçonneuse, tantôt robotatifs et qui par là même te faisaient partir en voyage loin, mais alors très très loin...

Et enfin les Thugs c'était un idéal : oser faire par soi même à partir de ce que tu es là maintenant, avoir confiance en ses capacités même si t'as pas tous les outils, faire les choses comme tu peux et garder en tête que rien qu'avec ça tu peux faire de grandes choses... Rentrer par la fenêtre si on t’empêche de rentrer par la porte... Et surtout, surtout, faire sans oublier d'avoir du respect pour tous, et avec une intégrité irréprochable, au dessus du lot. Petit à petit les Thugs sont devenus pour moi, au delà d'un putain de groupe, un modèle à suivre, des grands frères qui montrent la voie. En bientôt 30 ans de fanatisme rock, des groupes qui ont fait vibrer mes oreilles et mon cerveau j'en ai vu passer des centaines. Et j'ai adoré ça. Par contre, des groupes qui m'ont fait vibrer au plus profond de moi même, je peux les compter sur les doigts d'une main, voire sur les yeux d'une tête, et les Thugs sont de ceux là, et haut la main avec ça! Simplement parce qu'ils ont contribué à faire de moi ce que je suis, qu'ils m'ont poussé à réfléchir au monde dans lequel je vivais, qu'ils m'ont poussé à prendre confiance et à faire avec ce que j'avais et ce que j'étais, mais à le faire vraiment, du mieux que je peux... Voilà ce que sont les Thugs pour moi... Si je suis toujours amoureux après 20 ans de vie avec les Thugs? Plus que jamais!!!

Tout ça pour dire que putaing de marde, lire cette biographie était un plaisir. Non qu'elle soit construite mieux que les autres, non qu'on y trouve des détails inavouables (ces mecs là sont juste des gens aussi normaux que peut l'être ton voisin Robert), mais juste qu'elle nous donne un vrai cadre pour accompagner les Thugs vers la légende, celle d'un groupe qui a su tirer la substantifique moelle de ce que la vie lui proposait, qui a su sublimer le maximum des possibilités inhérentes de ses 4 membres, pour construire en 20 années une carrière irréprochable et saluée par tous. L'approche de l'auteur, Patrick Foulhoux, est toutefois à saluer car il a rapidement compris que les Thugs ne se limitaient pas aux frangins Sourice et à Thierry Méanard, mais à toute une équipe de potes tournant autour. Ce livre est aussi un petit hommage aux femmes et hommes de l'ombre qui ont fait les Thugs, et leur laisse amplement la parole, dans une construction qui s'y prète à merveille en reprenant à son compte le style des histoires orales qui a fait le sel de certains des meilleurs bouquins du genre de ces dernières années... Bonne lecture!!!


25/05/2020

Le témoignage ultime sur le Seattle Sound, par Mark Lanegan, en 1 livre : Sing Backwards And Weep, et 1 disque, Straight Songs Of Sorrow!!

Écrire ce bouquin, c'était comme se faire ensevelir sous une montagne de souvenirs merdiques chaque jour qui passe. Certains m'ont dit : "Oh tu vas vivre l'expérience la plus cathartique qui soit, ça va enfin te permettre de remiser tous ces fantômes". Et moi de répondre : "mec, ça fait longtemps que les fantômes ont été remisé. Maintenant ils sont à nouveau réveillés"!!!


On avait déjà adoré les cultissimes Grunge is dead et Everybody loves our town, mais qui aurait pensé que le témoignage ultime sur les années Seattle puisse être produit par l'un de ses plus sérieux dope addict, l'un de ceux que tous voyaient déjà mort avant le passage des années 2000, qui plus est un de ses acteurs parmi les plus taciturnes et discrets qui soit? Celui là même qui s'était volontairement arraché de Seattle après le split de son groupe, les Screaming Trees, pour ne plus jamais à avoir entendre parler de grunge et même de musique, s'évanouissant dans l'immensité de l'ennuyeuse Los Angeles, vivant de petits boulots, un jour maçon, l'autre peintre, sans plus jamais chercher à revenir sur ces années de souffrance.

Et pourtant celui là était fait pour l'exercice du retour en arrière!!! D'abord parce qu'il appartenait à l'un des plus anciens groupes de la vague grunge, les Trees, formés en 1984, ce qui en fait un des personnages les plus légitimes pour survoler ces années 90's... Les Trees, ce groupe talentueux, mais formé sur un malentendu qui sera à l'origine de 15 années d'incompréhension mutuelle entre chacun de ses membres...

Ensuite parce qu'il était l'intime de Kurt, son "petit frère", et de Layne, son "jumeau". Aussi celui de Jeffrey Lee Pierce, chanteur du Gun Club... Inutile de dire que les disparitions tragiques de ces trois là ont laissé Lanegan plein de remords et de peines qu'il n'a toujours pas fini de purger... Certainement était t'il et est t'il toujours l'ami de beaucoup à Seattle : Cornell, Ben Shepherd, Mc Cready, Greg Dulli, les L7, Charles Peterson etc etc... Dylan Carlson surtout (de Earth, celui par qui on suppose que Cobain a obtenu l'arme pour se tuer) son compère de bien des instants (et sujet d'un des morceaux de Straight Songs Of Sorrow, son nouvel album). Certainement était t'il l'ennemi de bien d'autres, du moins effrayait t'il nombres d'entre eux : Pavitt par exemple, ou Liam Gallagher, qui a sauvé ses fesses d'une belle rouste in-extremis... Car le gars en question est depuis son enfance enclin à résoudre les problèmes avec les poings, en toutes circonstances et dès que possible. 

Lanegan, Dylan Carlson et Kurt au début des 90's
Lanegan et Carlson 30 ans plus tard

Enfin parce qu'il n'est pas homme à tourner autour du pot : discret mais direct, cash, n'ayant que peu de considération pour sa propre personne, il était l'homme idéal pour raconter dans le détail ses meilleurs et ses pires moments, surtout les pires, sans concession pour sa propre image et accessoirement pour celle des autres. Alors oui, ok, on trouvera quelques règlements de compte ici où là, mais la plupart du temps c'est à beaucoup de compliments qu'on aura droit pour un paquet de ceux qui ont un jour croisé ce gars, dont l'amitié semble loin d'être facile à acquérir. Mais un coup acquise, acquise à jamais...

Avoir l'impression que Lanegan était là, partie prenante ou simplement à observer dans un coin, lors des grandes et moins grandes dates du Seattle Sound est un euphémisme... Il fut l'homme d'histoires lumineuses, comme quand il écrit avec Layne Staley ce qui deviendra le troisième single du mythique Above, Long Gone Day... Glaçantes quand, parti à la recherche de Cobain disparu en ce début d'avril 1994, il visite en compagnie de Carlson sa maison pièce par pièce, et, infructueux, passe en sortant près du garage ou son ami sera retrouvé le lendemain, hésitant une seconde à tenter d'y entrer vérifier l'éventuelle présence de son pote avant de décider de partir...  Déséspérées quand quelques jours avant un RV tant attendu avec celle qui doit être sa future nouvelle amoureuse, il reçoit un coup de téléphone de Courtney lui apprenant que Kristen Pfaff vient de mourir d'overdose... Etc etc... Tout est dur ici comme un parpaing qui te tomberait sur la gueule du douzième étage sans prévenir . Tout est cru. Tout est rude. Tout est brut.

Alors oui, on n'échappe pas à la morosité extrême de cette vie de junkie qu'on voit s'enfoncer plus et plus au fil des pages, et tout ça aurait pu tourner progressivement à une lecture carrément bien chiante... Mais non, on continu à dévorer les chapitres... Comme Lanegan le dit lui même, il était prêt à gravir l'Everest pour assouvir son addiction, et ce genre d'extrémité amène son lot d'histoires sordides, hallucinantes, mais parfois aussi hilarantes... Car le gars possède un humour dévastateur, et ce livre n'en est pas exempt... On oscille donc au long de la lecture entre désolation et moments de grâces, entre sidération et franches rigolades, entre souffrances profondes et joies éphémères... Mais jamais on ne s'ennuie. Bien au contraire, on en redemande, au point de sentir un grand vide en tournant la dernière page : ce gars nous a fait voyager, rêver, souffrir, éclater de rire tout au long de son bouquin, et on en sort bouleversé. 


Et tu te prends à te demander comment lui a pu survivre à tout ça pour reprendre gout à la musique, hisser sa carrière, sublimer son songwriting pour pondre ce qui à mon gout, est la plus belle,  incontestable, talentueuse seconde partie de carrière à jamais produite par un ancien combattant des merveilleuses années 90... Comment rester de marbre devant Sister, Penthouse High ou Daylight In The Noctural House, comment ne pas déceler toute cette beauté désarmante que ce mec véhicule dans tout ce qu'il propose depuis 10 ans, et qu'il continu à distiller dans ce petit dernier, Straight Songs Of Sorrow, celui qui lui fut inspiré directement de son passé durant cette période d'intense retour en arrière, bande son idéale pour la lecture de Sing Backwards And Weep... Accompagné de Greg Dully, Warren Ellis, John Paul Jones ou Alan Johannes, dans un style qu'on aime à imaginer à cheval entre sa première période solo, celle du folk blueseux Whiskey For The Holy Ghost, et l'actuelle, plus synthétique... Comme pour faire le lien entre ses années sombres et ce retour lumineux à la vie... Une fois n'est pas coutume, Lanegan nous transporte, qui avec un livre, qui avec un nouvel album, au tréfond de lui même et au tréfond de nous même, sonder ce qu'il y est de plus enfoui, de plus sombre. Et de le ramener à la lumière du jour...

Watching the smoke from the factory float
With my back to the rain, rider
From under the snow
I'm out of the grave, spider
Didn't you know?
I'm gonna send you to heaven