Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

18/04/2011

Interview de Brice Tollemer, auteur du "Pearl Jam - Vitalogy"

Des bouquins sur le grunge en français??? Y'en a pas des masses. Disons qu'on les compte sur les doigts de la main... Pourtant depuis quelques temps on entend parler d'un nouveau griffonneur, fana du rock underground 90's, qui aurait déjà à son actif une bio de Rage Against The Machine et un essai sur l'un des albums phares du Seattle Sound : Vitalogy de Pearl Jam... Même qu'il s'est pas mal penché sur l'histoire du mouvement, et qu'il pourrait un jour, qui sait, nous en sortir un pavé... Brice Tollemer, qu'il s'appelle : jeune trentenaire agréablement coincé entre Charteuse, Belledonne et Vercors, historien, et webzineur assidu...

Seattle Grunge : Brice, qu'est ce qui t'a amené à l'écriture? Comment passe t'on de rédacteur sur un webzine (Inside Rock) à écrivain pour Camion Blanc puis chroniqueur pour Le Monde? Ecrire c'est un truc naturel chez toi?

Brice Tollemer : En fait, tout a commencé lors de mon DEA d’Histoire. J’avais soutenu un mémoire consacré, en résumé, à Twin Peaks et au grunge, puisque la série de David Lynch datait aussi du début des années 90 et se déroulait également dans l’état de Washington, c’était intéressant de mettre en parallèle ces deux phénomènes culturels, qui ont à leur façon fortement marqué une génération. C’est donc à cette période que j’ai pris goût à l’écriture. Par la suite, j’ai commencé à collaborer aux Cahiers du Football, puis à Inside Rock. Après, j’ai contacté Camion Blanc, parce que je désirais écrire sur l’histoire de Pearl Jam, mais eux préféraient une biographie sur les Rage, qui venaient de se reformer.

Pour Vitalogy, c’est la maison d’éditions du Le Mot et Le Reste qui recherchait des auteurs pour une nouvelle collection. J’ai été contacté par un chroniqueur d’Inside Rock et j’ai donc proposé d’écrire sur cet album.

Enfin, concernant la série Rock Around The World Cup, je l’avais originellement écrite pour les Cahiers du Foot, et le site internet du Monde a voulu la reprendre pour la publier, dans le cadre d’un partenariat durant la dernière coupe du monde. L’idée était ainsi de mêler l’histoire du rock et le monde du football, chose qu’on retrouve souvent en Angleterre, mais très peu en France finalement.

SG : En jetant un oeil sur tout ce que tu as écrit pour Inside Rock, on perçoit de suite ton intéret pour le rock indé des années 90, et plus particulièrement pour RATM et PJ bien sûr, mais aussi Lanegan, Pavement, ou le rock seventies (Who, Stooges), voire certains groupes métal. D'ou te vient cette passion pour ce que j'aime a définir comme le vrai rock n'roll ?

BT : Je crois que j’ai eu simplement la chance d’avoir été adolescent à une époque où le rock connaissait une ébullition complètement folle. Quand on fait la liste des disques sortis par exemple entre 1991 et 1994, c’est vraiment saisissant. Entre les albums de Nirvana, Pearl Jam, Alice In Chains, Soundgarden, mais également ceux de Pavement, Dinosaur Jr., Weezer, Nine Inch Nails, Tool, sans oublier les Rage, les Red Hot, Faith No More ou bien encore la Brit Pop, ça foisonnait de partout. Et dans tous les styles. Les années 90 sont une très grande décennie pour le rock. C’est également à cette période que Douglas Coupland a sorti son livre « Génération X ». On est souvent le produit de son environnement. Quand il est bon, autant se laisser porter…

SG : Rapport à PJ ou RATM qui sont des groupes plutôt contestataires : Est ce que pour toi l'éthique punk ou DIY, ce coté rebelle, révolutionnaire que peut véhiculer le rock est quelque chose d'important ou au contraire plutôt arbitraire dans ton approche de la chose?

BT : Concernant l’engagement politique de ces deux groupes, je pense que je suis plus attiré par celui de Pearl Jam. Pour autant, on n’écoute pas des disques parce qu’on est d’accord avec les artistes qui les sortent. Mais quand l’engagement et la musique se rapprochent, cela peut être enrichissant. Par exemple, après les attentats du 11 septembre, alors que les Etats-Unis étaient en plein délire patriotique et revanchard, Pearl Jam a envoyé un livret à tous les membres du fan-club, livret qui contenait des textes d’Howard Zinn, Noam Chomsky ou bien encore Michael Moore. Ce genre de démarches me plaît assez. Du côté des Rage, prôner la révolution via une multinationale comme Sony… On peut trouver ça facilement contradictoire ou délicieusement ironique, c’est selon. Quant au DIY, l’éthique et la carrière d’un groupe comme Fugazi par exemple sont bien évidemment exemplaires.

SG : Tu as rencontré Charles Peterson lors de son passage à Paris en 2008... Ça fait quoi de se retrouver dans la peau de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours? Enfin... Devant une star du rock à sa manière, l'ami de nombreuses personnalités du grunge à Seattle, et un de ceux qui ont vu naitre le mouvement depuis ses balbutiements?

BT : C’est une personne vraiment très humble et très profonde. Quand on pense à tous les tocards qui se touchent le nœud quand ils parlent de Kurt Cobain alors qu’ils ont du le rencontrer une fois dans leur vie, le contraste est saisissant. Je me rappelle d’une scène lorsque je m’étais rendu à son exposition pour l’interviewer à Paris : durant la soirée, une équipe d’une émission de Paris Première était arrivée et faisait une espèce de reportage sur Cali, qui parlait devant une photo de Nirvana… Il y avait tout dans cette scène : le côté branchouille-bobo d’une ville faussement rock et la médiocrité ambiante de la musique française. C’était à dégueuler. Quand juste cinq minutes auparavant, vous discutiez paisiblement de Seattle et de tous ces groupes avec quelqu’un qui n’en rajoute pas, qui vous raconte sans vous faire sentir qu’il est plus important que vous…

SG : Y a t'il un groupe que tu apprécies plus que tout parmi tous ceux sorti de Seattle?

BT : C’est bien évidemment Pearl Jam. Ils font partie de ces groupes qui vous accompagnent toute une vie, dans la droite lignée de Bruce Springsteen ou de Neil Young. Bon, quand on a 14-15 ans on ne pense pas à eux quand on écoute Pearl Jam. Mais c’est un sentiment qu’on peut décrire 15 ou 20 ans plus tard. Des morceaux comme Porch, Rearviewmirror, Immortality, Do The Evolution sont vraiment fabuleux de mon point de vue. Surtout, ce qui est enthousiasmant, c’est de se plonger dans toutes leurs b-sides et dans leurs reprises : quand on pense que des morceaux comme I Got Id, Dead Man Walking ou bien encore Crazy Mary ne sont même pas sur leurs albums studios… Leur répertoire est donc immense et diversifié, et ils savent s’en servir, notamment en live, où ils prennent toujours soin de ne jamais jouer deux fois la même setlist deux soirs de suite, avec un public prêt à chanter en chœur sur n’importe quelle chanson. C’est vraiment le rock fédérateur dans ce qu’il a de plus noble.

Quant aux autres groupes de cette période, cela serait trop long d’en parler précisément, mais je pense que si je devais ressortir deux ou trois albums, ça serait l’Unplugged d’Alice In Chains et Above de Mad Season. Je rajouterais aussi les disques solo de Mark Lanegan, I’ll Take Care Of You et Field Songs pour ne citer qu’eux.

SG : Tu as écrit un essai plutôt personnel sur le Vitalogy de Pearl Jam : brièvement, sans réécrire le livre, en quoi est ce un album qui t'as marqué?

BT : Pour faire court, il y a trois principales raisons : c’est d’abord grâce à cet album que j’ai redécouvert le disque vinyle, et à une période où le cd régnait en maître. C’est par ailleurs une époque où Pearl Jam était en lutte contre à peu prés tout : MTV, Ticketmaster, etc… Et on ressent ce combat quand on écoute des chansons comme Not For You ou Corduroy. Enfin, et c’est ce qui est essentiel au final, le son de ce disque. Un peu crade, à la limite de la rupture, et la rage de Vedder. Le mal-être tout simplement. Tout comme le concept du livret Vitalogy.

SG : As-tu d'autres projets d'écriture en cours sur des sujets rock?

BT : Avec des amis, on a monté récemment un nouveau webzine, Not For You, plutôt centré sur l’indé niveau chroniques de disques et tendance Eric Zemmour pour les billets d’humeur (rires). Sinon, avec un groupe nommé H-Burns, on a un projet où on mêlerait des reprises de Dylan et de Neil Young notamment avec des petites nouvelles que j’écrirais, dans un esprit Bukowski pour résumer, le tout avec des illustrations, des dessins, des photos, etc… Pour le moment, on est tous occupés, surtout H-Burns qui va bientôt enregistrer chez Steve Albini, mais j’espère que ça se fera au cours de cette année.

Merci pour tout Brice, et taches de nous sortir encore quelques bons trucs à lire!!!!

1 commentaire: