Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

17/03/2013

Mr Epp and the Calculations, ou comment, sur un malentendu, entrer dans l'histoire du rock...

Mr Epp and the Calculations serait surement resté un groupe mineur du mouvement hardcore originel, s'il n'avait pas contenu en son sein certains des acteurs essentiels du futur mouvement grunge, j'ai nommé Mark McLaughlin, alias Mark Arm, et Steve Turner, tous deux futurs Green River et Mudhoney. Mr Epp est à lui seul une vaste blague. Jugez en vous même :


Maire Masco (Associé chez Pradva Productions, cofondateur du fanzine Desperate Times) : C'est dur à imaginer aujourd'hui, mais beaucoup des membres de la scène de Seattle n'avaient pas de téléphone. Pour avoir un téléphone à l'époque, tu devais donner une caution qui allait de 75 à 125$. C'était un paquet de fric! Donc les gens communiquaient essentiellement avec des flyers, pas seulement pour promouvoir des groupes ou d'autres événements, mais aussi pour exprimer des avis politiques par exemple.
Il  y avait un groupe en ville qui avait des flyers hilarants. L'un de ces flyers disait "Mr Epp and the Calculations, encore plus pourri que Bob Dylan", ou "Encore moins créatif que John Cage".
Dennis White et moi on adorait ces flyers et on s'est dit qu'on devait trouver qui étaient ces gars. Mais il n'y avait pas de numéro de téléphone, ni de dates de concerts. Et un jour qu'on marchait en ville, on a vu des gars distribuer des flyers, et on s'est aperçu que c'était pour Mr Epp. On était là : "Putain on les a trouvé!" On a donc traversé la rue en courant pour les rencontrer. Quand ils nous ont vu, ils ont détallé en pensant qu'on voulait les tabasser ou un truc dans le genre.
Finalement on arrive à leur parler. Donc vous êtes les gars de Mr Epp? C'était Mark Arm et Jeff Smitty, et, tous penauds, ils acquiescent, comme s'ils étaient coupables. "Ok je suis Maire Masco, et voici Dennis White. On est de Pravda Productions et on adorerait vous booker pour quelques concerts". Ils ont commencé à rire, et Mark Arm a dit : "Oh putain, ça veut dire qu'il va falloir qu'on trouve des instruments!"

Mark Arm : Mr Epp est resté un faux groupe pendant un paquet d'années. On l'avait nommé comme ça à cause d'un des profs de math de notre petit lycée chrétien. On prenait ce qu'on avait entre les mains, par exemple un aspirateur, on en faisait de la musique, et on enregistrait. On savait pas ce qu'on faisait. Et puis il y avait cette radio, KZAM, la seule qui passait de la new wave. Ils nous avaient dit : "Si vous êtes un groupe, envoyez nous une cassette, et on la passera". Ils nous ont présenté comme le pire groupe au monde. On était super fiers. C'est là qu'on s'est mit à distribuer à fond des flyers. On n'avait pas d'instruments mais on se faisait notre propre pub. C'est arrivé à un point où tu pouvais trouver un graffiti de Mr Epp derrière les sièges de chaque bus de la ville. (...) Darren Morey était un bon batteur, mais le reste d'entre nous ne savions absolument pas comment jouer. Après le lycée, on a décidé de rendre le groupe un peu plus réel, et Smitty et moi avons fait l'acquisition d'une guitare et d'un ampli. A l'époque Darren était encore au lycée, et Todd avait 16 ans. C'était le frère de Darren et le bébé de la bande.

Dennis White : C'était des petits morveux suffisants, du haut de leurs 16 ans. Je devais avoir 24 ou 25 ans, et ils nous voyaient comme des vieux cons périmés. Y'a aucun doute qu'il y avait un sens du fun et quelque chose de nouveau dans leur musique, mais il y avait autre chose : pour moi ils ont repoussé les limites de l'éthique DIY. Ils étaient comme chargé d'une certaine mission. Ils auraient juste ricané s'ils avaient entendu ça : "Qu'est ce que tu veux dire par mission?"


Le morceau Mohawk Man, une satire du mode de vie hardcore punk tiré du EP 5 titres Of Course I'm Happy Why?, fait son bonhomme de chemin sur les radios locales, et va s'exporter jusqu'à Los Angeles, où la radio KROQ le fait tourner en heavy rotation, mais Maire et White n'auront pas les moyens de tirer plus que les milles exemplaires originaux... A l'instar d'un groupe comme Flipper, Mr Epp était de ces groupes intégrés dans la scène hardcore américaine, alors même qu'ils cherchaient constamment à la tourner en dérision...

Steve Turner : J'ai rencontré Mark Arm en octobre 1982. On n'a jamais réussit à savoir si c'était à un show de PIL (Public Image Limited, le groupe de Johnny Rotten ex Sex Pistols) ou de TSOL (un groupe hardcore de LA). On avait beaucoup en commun : un sens de l'humour déplacé, et du dédain pour les punks et les gars de la scène hardcore. Un des boulots de Mr Epp était définitivement de faire chier les punks.

Tom Price (guitariste des U-Men) : Mr Epp a joué avec tous les groupes de hardcore et était le groupe le plus haï de Seattle. Les gars en veste de cuir cloutée essayaient de les choper; Mr Epp les leurraient totalement. Ils restaient rarement longtemps sur scène. Bien souvent, après trois ou quatre chansons, quelqu'un montait sur scène, leur arrachait leur guitare et la brisait sur le sol.

Mark Arm : On s'est aperçu qu'on pouvait très bien louer nous même une salle et y organiser des concerts. On demandait à des groupes punks locaux de jouer, la plupart d'entre eux n'avaient aucune idée de qui on était. Ils pensaient surement qu'on était des blaireaux, et qu'on faisait de la merde. On a ouvert pour Savage Republic au Ground Zero. Darren voulait reprendre The Gift du Velvet Underground. Ça a vraiment fait chier les punks qui étaient présents. Les Bopos Boys (un gang de pseudo mods punks plutôt violent, actif à Seattle au début des 80's) ont foutu le chaos en cassant les fenêtres de la salle parce qu'à leur gout ni Mr Epp ni Savage Republic n'étaient assez punk. On n'a jamais fait de fric - on perdait toujours la caution des salles qu'on louait pour x raisons. Une fois on a perdu la caution du Polish Hall, parce que les Bopos avaient piqués de la viande dans le frigo.

Dave Dederer (Presidents Of The USA) : Ils étaient du même acabit que Pere Ubu, Flipper, où le Butthole Surfers des débuts (tous groupes hardcore déviants ou innovants). Toujours à essayer d'être le plus bizarre possible.

Steve Turner, ex Limp Richerds, rejoint le groupe en 1983, pour ses 6 derniers mois d'existence.

Steve Turner : Mark voulait que le groupe soit plus "rock'n roll", et il a convaincu les autres de me prendre à la seconde guitare. Les derniers six mois, on a beaucoup pratiqué, joué deux shows, et les autres n'ont pas aimé le virage rock'n roll, donc le groupe a splitté (rires)

John Leighton Beezer (guitariste des Throwns Up et ami des Mudhoney) : J'étais au lycée en Californie, et je lisais souvent Maximumrocknroll (le fanzine phare du mouvement hardcore) pour avoir des nouvelles de ce qui se passait à Seattle. Tout était à chier sauf Mr Epp - Mohawk Man était un bon morceau.

Le EP Of Course I'm Happy Why, avec Mohawk Man (1er titre), ainsi qu'un extrait live pourri d'un concert au Metropolis, qui vaut bien le coup, rien que pour l'ambiance... Un autre morceau tiré de l'album "best of" Ridiculing The Apocalypse sorti en 1996, dans la playlist Grooveshark à droite. Ici vous aurez un aperçu de Attack, le fanzine fondé par Mark Arm et Smitty, et qui couvre à peu près la carrière de Mr Epp, ainsi que les débuts de Green River...



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