"Les Thugs, l’un des groupes les plus atypiques du rock français. Musicalement inclassables, entre punk rock et noisy pop, entre "les Beatles et Mötorhead"
Pourquoi donc, me direz vous, ces quelques mots sur les Thugs, groupe plus ou moins, souvent moins que plus, connu dans notre bien belle contrée... Parce que d'abord, si on aime les sons surfuzzés sursaturés des Mudhoney, Melvins et consorts, et qu'on est un peu chauvin, on est fier et content d'entendre des petits frenchis faire pareil. Et le faire bien surtout. Parce qu'à l'écoute, on pourrait facilement penser que les Thugs sont un de ces groupes sortis des bas fonds de l'underground américain... Parce que aussi, on se rend vite compte que l'histoire du groupe croise plus qu'à son tour celle de la scène alternative américaine de la fin des 80's et du début des 90's. Même qu'il se serait créé entre les uns et les autres une certaine fraternité, pour ne pas dire une fraternité certaine... On est pourtant à mille lieux de Seattle, futur épicentre de l'ère du temps... On est juste à... Angers, début des années 80, petite ville de province bien bourgeoise, sans histoire, et plus plate au goût qu'une bouteille de Volvic...
L'histoire des Thugs commence en 1983. Eric et Christophe Sourice, deux frangins, se voient rejoints par deux potes de lycée : Thierry et Gerald. Les Thugs (« voyous, hooligans » en anglais) sont nés. A peine plus d'un an après, en 1985, sort l'EP « Frenetic Dancing » sur le label Gougnaf Mouvement. Un son sans compromission, une mélodie fredonnée, des guitares virulentes, noisy punk et pop a la fois. Les Thugs deviennent dès lors une référence du milieu punk contestataire français. Et demeureront une référence question éthique (réputation humaine exemplaire, intégrité sans faille), refusant toute frime (des prototypes du non-look absolu...) et s'impliquant dans les causes du moment. Le premier LP du groupe, « Radical Hystery » sort en février 1986. Enregistré en 10 jours dans la banlieue rouennaise sur un studio 16 pistes, le disque fait son petit effet. En 1988, Gérald laisse sa basse à Pierre-Yves Sourice, troisième de la fratrie.
” Je pense que nos parents nous ont donné suffisamment confiance en nous pour pouvoir assumer ce qu'on était et pouvoir dire aux autres d'aller se faire foutre. C'est pas non plus quelque chose qui se fait beaucoup et c'est vrai que l'on apprend plus aux gamins à s'intégrer à la masse. Et nous avons toujours voulu revendiquer cela ”
Le groupe continue son bout de chemin en France et en Europe... Et en octobre 1988, alors qu'ils sont invités au Berlin Independance Days Music Festival, ils croisent deux américains qui viennent de créer une petite maison de disque à Seattle : Sub Pop, et qui accompagnent le fleuron de leur catalogue naissant : Mudhoney. Première apparition en Europe. Poneman se souviendra plus tard :
˝Je prenais mon pied à constater que la plupart des groupes européens qui jouaient ici étaient abominables. Pour voir jusqu'à quel point ça pouvait être horrible, je suis allé jeter un œil à un groupe français, histoire de rire. Peut être qu'il allait jouer des covers de Mink DeVille... Ce groupe, c'était les Thugs, et ils n'ont pas été longs à me botter le cul.˜
Poneman et Pavitt, dont le but avoué est avant tout de promouvoir et donner une identité forte aux groupes alternatifs du nord ouest américain, resteront cependant toujours ouverts aux formations « étrangères » à Seattle,qui partagent les mêmes affinités de son et d'esprit. Ils leur proposent le soir même d'enregistrer un 45T pour ce qui deviendra le mythique Sub Pop Single Club. En février 1989 sort donc Chess And Crimes/ Sunday Time numéroté SP029. C'est le début de l'aventure américaine, deux années (un gouffre) avant l'explosion grunge...
Il est évident que les Thugs auront toujours plus à voir avec Sonic Youth qu'avec les Bérus. Sans oublier qu'ils chantaient en anglais, fait rare à l'époque en France. Pas de doutes possibles : il y a une parenté de style avec l'écurie Sub Pop, et c'est sans conteste bien plus dans l'esprit du hardcore à l'américaine que du punk rock à la française qu'on se trouve. Musicalement parlant, les Thugs n'avaient rien à envier au hardcore Us en terme d'intensité, d'explosivité et d'ingéniosité. Curieusement, ils se sont hissés au niveau de ce qui se faisait outre atlantique sans s'en être particulièrement inspiré, et c'est évident en les écoutant : leur son est particulier, et même unique. Sur le site web du groupe, il est défini comme ça : (…) "Bombe atomique en pleine poire", "747 au décollage", "hourra rock'n'roll", "maëlstrom sonique", "chorégraphie du tumulte", la griffe Thugs, alliage subtil sous une apparence primitive voire brutale, superposant rythmiques hypnotiques, courses sonores effrénées, murs de grattes, chant fragile et chœurs entêtants (...)
Il y avait cette recherche chez les Thugs, d'une sonorité différente, et avec, d'une certaine indépendance, d'une liberté de penser, de faire les choses comme ils le voulaient, sans que quiconque ait à leur dicter quoi que ce soit... Une recherche qui a fait d'eux, et malgré eux, un groupe atypique de la scène française, non conforme aux standards de l'époque. On a là une similitude frappante entre la manière dont se sont construits les Thugs et celle dont s'est formé le mouvement de Seattle : on y retrouve l'ensemble des ingrédients qui a fait que les uns et les autres ont pu s'affirmer petit à petit. Et surtout, cette recherche de l'authenticité, cette pureté d'intention, cette volonté de conserver une éthique sans faille...
Eric Sourice : (…) On est au tout début du hardcore. On va être à la croisée des chemins et l’on va se situer entre Buzzcocks pour le côté très simple, mélodique et simple, et Husker Dü pour le côté “mur du son”, les guitares à fond. En plus, on chantait en anglais. À cette époque, en 83, on peut dire que la France était divisée entre le punk qui chantait en français, essentiellement les parisiens, et le rock’n’roll qui chantait en anglais, la scène de province. Nous on était entre les deux… Le public était un peu décontenancé par ce qu’on faisait, sauf quand on a eu notre propre public. On ne répondait pas aux clichés du mouvement. On n’avait pas de poses, pas le côté festif… Du début à la fin du concert, j’allais dire trois mots, les morceaux allaient s’enchaîner… On nous l’a beaucoup reproché.
Alors je vous la pose, la question : comment la musique des Thugs a t'elle pu s'apparenter autant, depuis leurs débuts, au son du hardcore américain, ce à des milliers de kilomètres de distance? A l'origine de la rencontre de 1988, il y a peut être une vision commune des choses... Une affinité dans les méthodes, dans le son bien sûr, et dans l'éthique... L'éthique du rock alternatif américain à la fin des années 80 ressemble grosso modo à ça : une méprise de l'establishment musical, et sociétal globalement, et comme proposition, ou comme ultime recours, faire les choses soit même, et prendre l'initiative par tous les moyens. Une manière de s'affirmer dans un système étouffant à la base...
Chez les Thugs : (…) Et il y avait un truc qui arrivait et qui correspondait à l’état d’esprit qu’on avait, le DIY. On est monté sur scène, c’est un peu la légende, on est monté sur scène et on ne savait pas jouer. Pour nous, un groupe, c’est un moyen d’expression, comme au lycée lorsqu’on faisait des journaux, qu’on appelait des journaux de contre-information. Au début c’était une expression, comme un journal de contre-info, comme la radio. On cherchait à foutre le bordel, c’est pour ça que le punk nous correspondait bien musicalement, parce que c’était une explosion sonore. Foutre le souk un peu partout avec les différents moyens qu’on pouvait prendre… Ça correspondait aussi totalement à notre état d’esprit, le côté un peu anar que pouvait véhiculer le mouvement punk.
A propos de la scène locale : (…) C’était le désert. Évidemment, il y avait quelques groupes, mais on les comptait sur les doigts d’une main. Sauf qu’avec ce DIY qui arrivait, on pouvait monter des assos, faire des émissions radios, des fanzines, monter un magasin de disques, faire un label, monter un groupe. Nous, on a tout fait… On a essayé de se saisir des radios libres le plus rapidement possible. On a fait une émission pirate avec un pote, avec un petit émetteur qui devait porter à 50 mètres, ça devait être en 79-80. En 1981, on a participé à des vraies radios libres associatives avec plusieurs émissions dont une qui s’appelait “Black et noir” en 83/84. De cette émission naîtra une association et, plus tard, le magasin de disques. La radio était vraiment un vecteur très intéressant.
Mais musicalement, la musique alternative Us, c'est aussi ça : un mélange de brutalité bien masculine, d'énergie pure, avec une volonté toute féminine d'aller au maximum vers la mélodie pop. Le succès des Pixies, de Nirvana se résumera à ça : de l'énergie brute avec des mélodies ultra pop
A la remarque qu'ils avaient un son atypique sur la scène française : (…) C’est lié à l’idée qu’on voulait tout contrôler et tout faire, dans la mesure du possible. On a toujours énormément travaillé le son. Le son de scène, et sur disque également. Christophe était vraiment branché là-dessus, il refusait les producteurs et voulait produire. Son idée, c’était cette espèce de bloc que tout pouvait faire ensemble, avec cette espèce de mur de guitares/basse/batterie, sur lequel surnageaient des voix. On voulait tout maîtriser et tout essayer.
(…) C’était plus ce “tous ensemble”, les deux guitares qui faisaient souvent la même chose, le bloc monolithique qui avance… Avec le côté pop qu’amenaient les mélodies de voix ou les gimmicks de guitare. Ça correspondait vraiment à ce qu’on était. L’envie de foutre le bordel… J’ai souvent comparé un concert à une manif. Tu as la même dose d’adrénaline, tu as envie que ça fasse bouger le monde. Cette volonté de se battre, de s’amuser ensemble… Ce qu’on voulait faire avec les Thugs, c’était ça.
Les Thugs, c’était aussi un engagement permanent. Le groupe est né de la vague punk de la fin des années 70, de la nécessité de faire du bruit contre l’ordre établi, la révolte au cœur, la hargne des guitares électriques, le tambour battant.
(…) On était un groupe très politisé. On n’a jamais été comme les Bérus proches des milieux d’extrême gauche, on n’a pas fait beaucoup de concerts de soutien. Mais on avait des choses à dire, et quasiment toutes nos paroles étaient d’inspiration politique, sociale. On a toujours parlé de ça, qu’on n’avait pas envie de travailler, de participer à une société capitaliste, néolibérale… En même temps on se méfiait énormément des slogans. On était dans une lutte des classes, mais on pensait que c’était trop facile de ne dire que ça. On s’est toujours un peu méfié des foules, des gens qui lèvent le poing, et qui, en même temps, d’ici trois ou quatre ans finiront par être des cadres dynamiques dans une entreprise. On a toujours eu ce côté un peu désabusé… Mais on était complètement dedans… Une manif c’est bien, on y va parce qu’on se dit que la révolution est peut être au bout, et en même temps on n’y croit pas une seule seconde… Ce qui ne nous empêche pas d’essayer, et d’y revenir la fois d’après… Et toujours… On ne voulait pas être des portes drapeaux. On s’est impliqué dans des trucs militants, mais au niveau musical on n’était pas évidents. Il fallait aller chercher la substantifique moelle. Je me souviens d’un titre du “Monde Diplomatique” : ”Informer fatigue”… Et nous c’était un peu ça. C’est aussi pour ça que l’on nous a proposé peu de concerts de soutien.
Suite à la signature chez Sub Pop, le groupe entame une tournée de deux mois aux USA. Vont suivre une trentaine de dates passant par New York, Chicago, San Francisco … La presse spécialisée outre-atlantique va alors s'enthousiasmer pour ce qu'ils appellent malicieusement le Woody Core (en référence à la ressemblance existant entre Eric Sourice, chanteur du groupe, et Woody Allen).
(…) 1989, c’est aussi une date charnière pour nous… Les premières tournées aux USA, les premiers disques qui sortent là-bas, d’abord chez Sub Pop puis chez Alternative Tentacles. Le fait d’avoir une reconnaissance à l’étranger a fait qu’on a commencé à avoir beaucoup de monde aux concerts en France. “Il paraît que vous vendez plein de disques aux Etats-Unis -non, pas plein, au contraire…”. Dans l’esprit des gens, cette reconnaissance à l’étranger faisait que ça devait être bien…
Trois albums sortiront chez Sub Pop, un chez Alternatives Tentacles. Les tournées américaines et européennes se succèdent, ils partagent la scène avec les groupes les plus reconnus du moment : Tad, Faith No More, Hole, Love Battery, Nirvana, The Breeders, Sonic Youth, Seaweed, The Posies... Ils participent à l'émission de John Peel sur BBC Radio 1. En 1991, en pleine Guerre du Golfe, leur chanson Stop the War est distribuée aux États-Unis. Les collaborations avec la scène de Seattle, et plus globalement l'underground Us, s'étoffent aussi : Steve Albini, ex Big Black, ultra respecté dans le milieu, produira « Strike » en 1996, Kurt Bloch des Fastbacks s'attardera sur « Ninetheen Something » en 1998.
Jello Biafra (Alternatives Tentacles et ex Dead Kennedys) : "J’ai sorti les Thugs il y a presque vingt ans. Il me semble qu’ils avaient envoyé une copie d’un 45T. Je l’ai écouté et j’ai été bluffé. C’était une combinaison hypnotique sans pareil du Velvet Underground et des Buzzcocks. Les Thugs font parti de ces rares groupes dont tu ne te lasses jamais."
Poneman, en 1996 : ˜Je tiens en haute estime le fait que Sub Pop continue à être le label des Thugs. A l'exception de IABF, qui est sorti chez Alternatives Tentacles (ils étaient fans, on était fauchés), Sub Pop a fièrement sorti tous les albums des Thugs en Amérique du Nord. Ils sont maintenant le plus ancien des groupes de Sub Pop. Ils sont le meilleur porte drapeau de notre label. (…) Les Thugs sont un des meilleurs groupes de rock au monde. Ils fusionnent l'hypnotique et l'explosif comme aucun autre groupe. A chaque album, ils ont systématiquement redéfini et étendu leur œuvre. Et même s'ils chantent dans une « deuxième langue », leur champ d'émotion, de sophistication et d'humour ne faiblit jamais et inspire toujours.˜
S'ils ont alors acquis une reconnaissance indéniable, les membres des Thugs ont toujours montré une fidélité sans faille, fidélité à leur ville et leurs amis d'Angers, aux labels qui les ont soutenu. Il faut également rappeler la création de Black et Noir, d'abord émission de radio, puis magasin de disque et label d'Eric Sourice jusqu'en 1995.C'est donc naturellement qu'en 1993 les Thugs reviennent chez Sub Pop pour la parution de l'album qui sera le plus grand succès commercial du groupe : « As Happy As Possible ». Enregistré à Seattle, il se vendra à 40 000 exemplaires dans le monde. Mais à aucun moment les membres du groupe ne souhaiteront surfer sur ce succès. Ils se disent alors surtout désabusés et pessimistes. Leur seul souhait est de vivre en groupe une aventure propre et authentique. Le dernier concert du groupe aura lieu à La Roche sur Yon fin 1999 et scellera une histoire de plus de 15 ans de bruit et d'émotion. Le groupe est cependant remonté sur scène à Seattle, à l'occasion des 20 ans du label Sub Pop. Et en France au cours de l'été 2008 pour une ultime tournée. La sortie d'un dvd retraçant leur carrière (qui annonce des images d'archives tournées à Seattle), bien que sans cesse retardée, doit sortir courant 2010...
Discographie :
Radical Hystery (1986), Electric Troubles (1987), Dirty White Race (1988), Still Hungry (1989), I.A.B.F. (1991), As Happy As Possible (1993), Strike (1996), Nineteen Something (1997), Tout doit disparaitre (1999), Road Closed (2004)
Pour vos petites oreilles fragiles, trois morceaux à découvrir dont une reprise des Dead Kennerys, dans la playlist Grooveshark à droite... Faut chercher...
Site web : http://www.lesthugs.fr/
Article réalisé par multi plagiats agrémenté de quelques passages originaux... Les nombreux extraits pompés sont lisibles sur les quelques sites web documentés sur les Thugs... Dans le même ordre d'idée, les traductions sont parfois approximatives mais les idées sont là...
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