Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

07/01/2012

The Blackouts, à mi chemin entre grunge et indus

The Blackouts étaient probablement le meilleur groupe à jamais être sorti de Seattle. Amazing. Jim Tillman (bassiste des U Men et de Love Battery)

Larry Reid (manager des U Men) : The Blackouts étaient probablement les précurseurs de ce qui a été plus tard connu comme le Seattle Sound. Ils n'étaient pas un groupe punk rock standard, basique - ils avaient un son plutôt sophistiqué et un vrai sens de l'instrumentation. Un groupe vraiment influent.

Les Blackouts se forment en 1979 sur les cendres des Telepaths, un des premiers groupes punk de Seattle, et enregistrent dans la foulée un premier single intitulé Music : 528 seconds. Le groupe est alors composé de Eric Werner au chant, Bill Rieflin à la batterie, Roland Barker au synthé et Mike Davidson à la basse.

Bill Rieflin (batteur des Blackouts, puis de Ministry et REM) : Je me souviens quand Eric Werner, après le split des Telepaths, m'a demandé si je voulais monter un nouveau groupe avec lui et le bassiste des Telepaths. Je détestais cette idée - être dans un "rock trio". Donc j'ai dis non, sauf si il trouvait un quatrième élément. Robert Barker, avec qui je vivais, jouait du synthé et du saxo. Il était un peu réticent au début, mais on ne l'a pas lâché jusqu'à ce qu'il accepte. C'est comme ça que les Blackouts se sont formés. Paul Barker à rejoint le groupe en 1981 - il vivait en Allemagne. (...) Les Telepaths étaient un groupe punk plein d'intensité et de puissance. on voulait dépasser ça, revenir à une simplicité un peu poisseuse. On était plus dans Gang Of Four ou les premiers Talking Heads.

C'est véritablement l'Ep Men In Motion (1981) qui va définir le son du groupe. Hurlements dissonants et morceaux déstructurés. No Wave en somme. C'est l'époque ou le groupe trouve sa véritable identité, par la force des choses. Mike Davidson lâche l'affaire, lassé de devoir batailler pour trouver de quoi tourner. Il est donc remplacé par Paul Barker, frangin de Roland de retour d'Allemagne. Surtout, le synthé de Roland Barker est volé lors d'un enregistrement de son autre groupe, les Young Scientist, au Showbox. Roland s'attelle donc par défaut à son deuxième instrument : le saxophone.

Bill Rieflin : Les Blackouts ne seraient jamais vraiment devenu les Blackouts si on ne s'était pas fait volé notre matos. On a perdu Mike au même moment. Par la force des choses on est devenu un "trois pièces" : basse, saxo, batterie. Ça a vraiment reconfiguré, redéfini ce qu'était les Blackouts. Notre son en a été réduit à l'essentiel, il a gagné un caractère plus tribal. Il est devenu plus condensé, unique en un sens.

Daniel House (bassiste de Skin Yard, fondateur de C/Z Records) : Leur musique avait un coté tranchant, angulaire, angoissant - comme du verre brisé.

C'est au même moment que le groupe gagne son statut de groupe "live", ce grâce à des performances scéniques remarquables et à un fort sens de l'imagination. Une touche artistique qu'on retrouvera dans nombre de leurs futurs shows et vidéos à venir.

Paul Barker (bassiste des Blackouts, Ministry) : On a joué un show dans ce club horrible sur Pionner Square, le Baby's O's. On ouvrait pour un groupe de bar merdique (qui s'avéra être un obscur groupe power pop du nom de Heats). On n'était pas connecté à cette scène là, on était parti intégrante de la scène punk. Donc on s'est dit : "si on doit ouvrir pour ce foutu groupe, alors essayons de faire quelque chose de génial. Notre manager avait mit la main sur une dizaine de litres de sang de cochon chez un boucher, et on a donc décidé qu'on se couvrirait de cendres et de sang de cochon, et qu'on jouerait comme ça. On l'a fait et c'était incroyablement affreux (rires). je me souviens pas comment le concert a été perçu, mais c'était vraiment crade. Mais bon, au final est ce que quelqu'un y a trouvé quelque chose à redire à l'époque?

Dave Dederer (guitariste des Presidents Of The United States of America) : C'est un des meilleurs groupes que j'ai jamais vu. La première fois, c'était en 1982. J'allais voir Killing Joke, et ils ouvraient. J'avais entendu leur Ep, Men In Motion. Bill Rieflin avait ce fantastique son de caisse claire. Ils étaient juste incroyables. Et Eric, le chanteur, était un énorme frontman. Ils ont éclaté Killing Joke.

Bill Rieflin : Notre manager de l'époque bossait au Showbox Theater, et ils faisaient venir un paquet de groupes de renommée nationale et internationale. Ce qui fait qu'on ouvrait souvent pour ce genre de groupe. En un sens, ça ne nous a pas rendu vraiment populaires. on jouait beaucoup et on était très bon en live - on n'a juste pas fait beaucoup de disques.

Larry Reid : Malheureusement, c'est au moment ou ils ont atteint une sorte de pic artistique qu'ils ont quitté la ville. Ça a laissé un vide, qui a été comblé immédiatement par des groupes au style plus proche de ce qu'on défini habituellement par "grunge"

The Blackouts bougent alors jusqu'à Boston, prétextant que la côte Est pourra les aider à accéder à une plus grande popularité. Ils s'acoquinent alors avec le tout nouveau label Wax Trax (devenu légendaire depuis, ayant signé la crème de tout ce qu'on nomme no wave, punk ou indus dans les années qui suivirent : Front 242, KMFDM, Front Line Assembly, Young Gods, et tout ce que les membres de Ministry comptent de projets parallèles), pour signer l'Ep Lost Soul's Club avec un petit jeunot qui débute à la production : Al Jourgensen. Le groupe signe quelques concerts toujours aussi outrageux à New York et Philadelphie. C'est lors de l'un d'eux qu'ils font fureurs en se déguisant tous en juifs hasidiques, à l'exception de Roland Barker, habillé en officier nazi.

Bill Rieflin : L'idée qu'on avait en venant sur la cote Est était de jouer sur New York, mais de vivre à Boston, ou la vie était moins chère. C'était juste horrible. On a juste joué deux ou trois fois à New York. On était tous ensemble dans un tout petit appartement avec des cafards 50000 fois plus nombreux que nous. Je me faisais 60$ la semaine à vendre des muffins avec des ados dans la rue. On a probablement juste écrit 5 morceaux en tout et pour tout quand on était là bas.

Paul Barker : On a vécu un couple d'année à Boston, on jouait à droite à gauche. Mais petit à petit on s'est tous plus ou moins laissé enfermé dans le quotidien, et pour finir on pensait plus à savoir comment payer notre loyer qu'à faire tourner le groupe. On a pensé que si ça devait se passer comme ça, pourquoi ne pas choisir de vivre dans un endroit où on a vraiment envie de vivre. On a bougé à San Francisco. Chacun a essayé de se trouver un job, et on s'est mis à faire quelques concerts. Mais est arrivé un moment ou plus rien ne se passait pour nous. Même si on appréciait tous ce groupe, le groupe en lui même n'avait plus assez d'énergie. Il y avait comme un sentiment d'apathie - on a splitté.

C'est à ce moment qu'Al Jourgensen, qui vient de sortir en solo le premier album de Ministry (Twitch), chez Wax Trax, et qui cherche des musiciens pour partir en tournée, recontacte Paul Barker. Alors que les Blackouts avaient évolué d'une musique pop avant gardiste vers ce qu'on peut qualifier de noise expérimental, Jourgensen, quand à lui, cherche à faire évoluer son bébé, Ministry, vers quelque chose de plus "in your face", un nouveau son noise hardcore teinté d'éléctronique... Ministry était en quelque sorte une suite logique pour les ex-membres des Blackouts. Paul Barker deviendra l'alter ego de Jourgensen au sein du groupe, pour ce qui en deviendra la période la plus aboutie, alors que Bill Rieflin en assurera officieusement la batterie (il n'est crédité souvent que dans les guest) jusqu'au milieu des 90's, avant d'aller rejoindre REM en 2003 jusqu'à leur séparation en 2011. Il collaborera aussi avec Robert Fripp de King Crimson ou Scott Mc Caughey des Young Fresh Fellows.

Paul Barker : Quand on vivait à Boston, on a rencontré Al Jourgensen - il avait produit un Ep pour le groupe. Je suis resté en contact avec lui, et après Twitch, il voulait qu'on monte un vrai groupe ensemble. Donc j'ai demandé à Bill Rieflin et Roland Barker - et nous sommes tous les trois parti en tournée avec Ministry en 1986

En 2004, K Records a sorti un best of retraçant l'ensemble de la carrière des Blackouts : History in Reverse...

Ben Shepherd (bassiste de Soundgarden) : Un de mes groupes préférés était les Blackouts. C'est un disque que tu dois trouver (History In Reverse).

Paul Barker : Un jour que j'étais en ballade avec Kim Thayil, il m'a dit : "Je me souvient du dernier concert des Blackouts au Lincoln Hall de Seattle - c'était vraiment triste. J'étais là bas avec mes amis et tout le monde était vraiment bouleversé. Je lui ai répondu : "Ah bon? Je pensais que tout le monde s'en foutait"

Une vidéo originale de 1982 pour la promotion du single Idiot pour Wax Trax, un peu kitch, qui témoigne bien du penchant artistique des bonhommes... Son un peu pourri cependant, z'ont l'air d'un groupe de midinettes. Le même morceau avec du vrai son et un groove autrement meilleur, accompagné d'un autre, tout aussi excellent, dans la playlist Grooveshark à droite... Une vidéo de Ministry période Barker / Rieflin en sus : NWO avec un fourre tout d'images live... Bien puissant... Ministry c'est des contemporains des groupes de Seattle, ils ont percés en même temps et c'est un peu hallucinant de voir que c'est un groupe qui est, encore une fois, composé de natifs de Seattle. Imaginez la prépondérance de la sub culture seattlelienne au Lollapalooza 91 avec Soundgarden, Pearl Jam, Ministry ou le Jim Rose Circus!!!



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