Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

05/11/2010

"Grunge Is Dead" de Greg Prato

Quelques mots sur l'excellent bouquin sorti l'année dernière, en version anglaise seulement (le verra t'on un jour en français? on peut légitimement en douter), « Grunge is dead : the oral history of Seattle rock music » de Greg Prato.

Complément parfait au documentaire Hype et autres albums photos du fameux Charles Peterson, qui sont à mon goût ce qu'on a fait de mieux en matière de retranscription visuelle du mouvement de Seattle, ce petit pavé d'un demi millier de pages, est un réel travail de titan... On a là les témoignages de plus ou moins 130 personnes, connues ou moins connues, liées de près aux évènements qui nous intéressent. Et même si au commencement, on est un peu déçu de ne pas avoir le point de vue des Novoselic, Grohl, Cornell ou Lanegan (les grands absents), au final on se dit qu'ils n'auraient absolument rien apportés de plus au schmilblick, tellement les propos sont denses, intenses et variés...

Pour les plus documentés sur l'affaire en question, l'apport de ce bouquin vaudra surtout pour les nombreux détails distillés sur la genèse du mouvement. Lequel prend forme dès 1980, avec certains membres éminents du futur Seattle sound... J'entend par là les Ben Shepherd, Mike Mc Cready, Mark Arm, Stone Gossard, etc, tous encore boutonneux... Mais déjà actifs au sein des confidentielles scènes punk hardcore et hard rock locales... Tout part de là, finalement, et le grunge, en définitive, se résumera aux possibilités d'hybridation existantes entre ces deux scènes à première vue opposées (Black Flag versus Van Halen, c'était pas gagné d'avance... l'expérience mitigée de Green River en sera quelques années plus tard un bon exemple). Hybridation qui deviendra cependant petit à petit réalité. Les U Men pointent le bout de leurs nez, parmi quelques autres... Les Fastbacks sont déjà bien en place... Se sent déjà l'amorce d'une mouvance solide et soudée, et le brassage constant de musiciens qui passent de groupes en groupes, est déjà bien présent...

Parmi ceux-ci, on remarque les contributions plus ou moins prédominantes de quelques natifs de Seattle qui façonneront le hard metal américain par la suite. Paul Barker, futur bras droit de Jourgensen dans Ministry, a fortement influencé la scène locale de part les prestations des Blackouts, un groupe punk hors norme (et à mille lieux des combos de la scène hardcore californienne de l'époque). Surtout, comment ne pas citer Duff Mac Kagan, bientôt chez les Guns N' Roses, et dont l'apport se révelera absolument prépondérant à la scène punk émergente (qui l'eut cru?), de par son implication, alors qu'il n'est pas même majeur, au sein de plusieurs groupes du cru, et notamment les Fastbacks, The Fartz et Ten Minutes Warning.

On s'attardera ensuite sur l'apparition progressive des groupes historiques du mouvement, les Soungarden, Melvins, Green River, Screaming Trees, Skin Yard... Et sur l'organisation anarchique et pas vraiment réfléchie, mais néanmoins progressive de la scène, l'apport conjugué des petites maisons de disques naissantes, des radios indé, et des quelques clubs qui font jouer les groupes intra muros... Olympia, Sub Pop, Aberdeen, Beat Happening, K Records, les Riot Grrrl... La suite, on la connaît, Nirvana, Pearl Jam, Alice, le succès planétaire, la déchéance, les morts... Même si rien n'est dénué d'intérêt du début à la fin!!!

Surtout, ce qui est vraiment captivant, c'est la vivacité des propos des uns et des autres, véritables dépositaires de l'histoire d'un mouvement qu'on ne peut pas trouver dans des bouquins écrits par d'autres, qui n'y étaient pas... Ceux là, étaient bien présents tous les we au bas de la scène, la bière à la main, les oreilles et le cerveau souvent défoncées, la plupart étaient de réels potes des Arm, Cobain, Conner, Cornell ou Thayil... Tous ont participé à ce que fut, de l'intérieur, ce mouvement... C'est la réelle force de ce bouquin... Et ça nous vaut, à nous autres, de bien rire au fil des pages : ces mecs étaient juste de bien bons comiques...

Et au delà de ça, ce que moi je retiendrais personnellement de cette excellente lecture, c'est cette histoire de famille... Et c'est bien ça le plus extraordinaire, on a là un mouvement aux ramifications planétaires, avec des groupes devenus des superstars du business musical... Mais ce qu'on oublie souvent, c'est que toutes ces personnes formaient réellement une famille, un groupe soudé... Une grosse bande de potes...

Certains qualifieront la scène d'incestueuse, à raison, tellement était présent ce mouvement constant de musiciens : untel qui remplace untel, qui file fonder tel groupe avec machin, ancien membre de tel groupe etc... Et c'est ça qu'on ressent en lisant ce bouquin : l'extrême bonheur de tous d'avoir participé ensemble à ce blitzkrieg musical, l'amitié simple qu'ils avaient tous les uns pour les autres, le soutien qu'ils pouvaient se donner... Ce mouvement, c'est en un mot, l'amitié qui l'a formé et soutenu... Rien de calculé dans cette démarche, le seul truc un temps soit peu réfléchit, c'était l'envie de jouer et s'amuser entre potes... Même les Pearl Jam ou Alice In Chains, bien qu'ayant muri en parti en dehors de la sphère d'influence de la scène locale, y ont été intégré très rapidement, malgré tout ce qui a pu être dit à ce sujet...

L'histoire du rock à Seattle reste pour ces raisons un excellent exemple de ce que la vie est capable de donner quand on fait l'effort d'y cultiver une chose toute simple : la notion de fraternité... C'est de mon point de vue le réel héritage laissé par ce « mouvement malgré lui », et qui va bien au delà de la musique, aussi extraordinaire soit t'elle... Et c'est bien, à peine voilée, cette idée dominante qui suinte de ce bouquin, avec, vendu dans le lot, un sens de l'authenticité qu'on aimerait voir plus souvent de nos jours dans le milieu musical, et beaucoup d'humour...

Et techniquement parlant, en un mot : n'ayez pas peur de la langue anglaise... On reste dans un style purement oral, donc plus simple à comprendre, et si, moi qui parle anglais comme une vache franco-irlandaise, ai pu prendre vraiment plaisir à lire ce bouquin, vous y arriverez aussi... Sans compter que ça fait pas de mal de travailler un peu son angliche...



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