Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

11/02/2012

Seattle Grunge's Anecdotes : "We're nerds goddammit", ou de l'utilité du "nerd" dans l'origine sociale du Grunge

Au lycée, on se faisait tout le temps taper dessus. On pouvait pas parler aux jolies filles... Je veux dire... We're nerds goddammit!!!!!! On est des minables bordel!!!!! raconte un Van Conner (bassiste des Screaming Trees) hilare dans le docu Hype!

Nerd (définition) : Terme argotique, surtout employé par les élèves des lycées américains, qui peut se traduire par « intello » (avec la nuance péjorative que cela implique) : on peut ici se référer au stéréotype du gars à lunettes. Plus globalement, un nerd est un minable, un ringard...

Y'a comme un truc qui revient souvent dans ce petit monde du grunge à Seattle, ce sentiment d'avoir été méprisé, perçu comme un moins que rien, marginalisé à l'adolescence... Et parallèlement à ça, cet instinct de se réfugier dans un univers à part, celui de la musique, du rock, du punk... Quelque chose qu'on peut aussi apercevoir, par exemple, au début du docu PJ20, quand des flics en civils trainent autour de Stone Gossard et sa bande pour mieux les surveiller... Le punk à Seattle dans les 80's n'est pas le punk tel qu'on le connait aujourd'hui, un courant musical accepté de tous, même de ta mère bien que, quand même : "baisse la musique bordel, les voisins vont encore gueuler"... Nirvana est passé par là, et c'est pas rien de le dire, l'explosion grunge en 1991 a complètement démocratisé cette musique qualifiée auparavant d’extrême... Et ouaip, le hardcore de Black Flag était bien extrême en 1980, de fait complètement underground et surement inconcevable dans l'esprit de la majorité des citoyens US de l'époque. Et pour cause, nous sommes dans l’Amérique puritaine de Reagan... Seattle était une petite ville bourgeoise, qui n'avait aucune place à offrir au moindre marginal, et surtout pas aux quelques keupons qui trainaient par là... Et au lycée, c'était le même topo : comme dans les séries télé américaines, t'es populaire quand tu tâtes du ballon ovale avec un gros casque grillagé vissé sur ta tronche de cake ou quand tu fais des pirouettes en petite jupette et grosses chaussettes pour supporter ces gros lourdeaux de footballeurs... T'es une merde quand t'as pas de biscottos et que t'écoutes pas de la disco comme tout le monde...

Charles Peterson (photographe de le scène de Seattle) : J'avais 16 ans en 1980, quand j'ai découvert le premier album des Clash. De ce jour, j'ai été accro à la musique punk. Cette année là, je prenais déjà des photos pour le journal interne de mon lycée ainsi que celles des classes en fin d'année. J'étais aussi le seul et unique "punk" de tout l'établissement : mon crane rasé et mes rangers me faisaient tout de suite repérer. Imaginez vous aux prises avec une équipe de football au grand complet, encouragé de la voix et du geste par ses entraineurs, qu'il vous faut regrouper et arranger pour une photo de groupe pendant que fusent des "punkettes, p'tite punkette, gare à tes fesses!"

Tom Price (guitariste des U Men et de Gas Huffer) : Quelque chose que je vois rarement mentionné, c'est la réaction violente que les gens avait contre vous, juste parce que vous étiez punk. Tous les jours, tu marchais dans la rue, et des gens te criaient dessus : "tapette" et te jetaient des bouteilles de bières à la tronche. Tu te faisais courser par des gars des fraternités universitaires ou des stoners. Partout ou tu allais c'était pareil. Ça me parait tellement bizarre maintenant, de penser à quel point j'étais accoutumé à cette violence. Je suis pas vraiment un gars costaud - j'ai jamais été un grand cogneur - mais j'étais très bon à baisser le regard et à les ignorer. Et si ils décidaient de me tabasser, j'étais aussi très bon à prendre les jambes à mon cou et courir très vite. Pour moi, le plus excitant était la musique et tous ces supers groupes. Mais la tension journalière et la violence étaient omniprésentes...

Mark Arm (chanteur de Mudhoney) : Dans mon lycée, entre 1980 et 1982, il y avait peut être 4 gars qui écoutaient du punk et 8 de plus qui étaient plutôt dans la new wave. Un jour, un pote et moi on s'est coupé les cheveux très court, et on les a coloré. On est entré comme ça dans la cafétéria - c'était un lycée de 2000 élèves. Ça a été le silence complet dans la salle et tout le monde s'est mit à nous mater. Un de ces footballeurs est venu vers moi et m'a dit : "Devo, je vais te tuer". C'est tout ce qu'ils connaissaient à ce point, Devo, donc bien sûr tous ces gens ont fini par m'appeler Devo. C'était si facile à l'époque de faire peur...

Duff McKagan (élément essentiel de la scène de Seattle et accessoirement bassiste de Guns N'Roses) : Le punk rock était un refuge pour ceux qui n'étaient pas populaire au lycée ou au sport - les punks rockeurs étaient ceux qui se faisaient taper dessus par les footeux. En 1982, il y avait des footeux qui venaient de la banlieue de Seattle pour foutre le bordel dans les concerts et nous tabasser.

Charles Peterson : A l'automne 1982, dès mon premier mois en fac à l'Université de Washington State, à la cantine de ma résidence, j'ai repéré un type : boule à zéro, nez proéminent, converse montantes et t-shirt de Crass. Désespérément en quête d'un ami, je l'ai accosté. Le hasard a fait qu'il s'agissait de Mark Arm, guitariste de Mr Epp, un groupe de l'Eastside totalement hors normes. Nous avons fraternisé et sommes devenus, l'année suivante, colocataires. Mark m'a fait connaître Bruce Pavitt. Puis Bruce m'a fait rencontrer Kim Thayil, et ainsi de suite. Nous avons vite formé un cercle d'amis se consacrant à la création musicale, la promotion, la production, ou encore la prise de vue de tout ce qui se rattachait à cette musique qu'on aimait. L'inspiration provenait avant tout de l'expérience commune d'avoir été des souffre douleurs dans nos lycées respectifs, et bien sûr le rock punk nous aidait à tenir dans cette épreuve.

Voili voilou, l'aventure grunge était en marche... On peut imaginer l'avènement du Seattle Sound comme une espèce de catharsie, comme une voie de guérison consécutive à des années de brimades... C'est marrant la vie quand même, tous ces gars qui étaient perçu comme des sous merdes, et qui en fait se sont révélés bien plus productifs pour leur communauté que tous ces gars et filles populaires de leurs lycées... Qui n'étaient finalement que des futurs gentils petits moutons prêts à être marqués au fer rouge de la société de consommation débilitante d'aujourd'hui... Ceci n'est qu'un aparté, vous pouvez maintenant éteindre votre écran d'ordinateur...

Photos issues du super bouquin de Michael Lavine, préface de Thurston Moore : la communauté punk du début 80's à Seattle...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire