Seattle est au rock n'roll ce que Bethléem est au christianisme.
Spin Magazine (1992)

On a besoin qu'il arrive à nouveau quelque chose comme ça - pour changer la face de la musique. Tout de suite!
Mike Inez (Alice In Chains)

28/12/2012

Les greffés du Seattle Sound Part 2 : ceux de l'Ohio - ou l'histoire de The Gits, 7 Year Bitch ou Alcohol Funnycar

Bon, l'année dernière, on avait parlé des gars de Chicago, les Kim Thayil, Hiro Yamamoto, Bruce Pavitt et consors... Aujourd'hui on aurait pu parler de Jeff Ament et de ses copains du Michigan, mais, changement de dernière minute, on va plutôt jeter un oeil sur ce petit groupe de potes qui vivaient en colocation et ont finit par signer tous leurs groupes chez C/Z Records... En plus ça nous fera l'occasion de mettre l'accent sur des "seconds couteaux" du Seattle Sound, pas parce que leur musique est un peu moins bonne que celles des PJ, Soundgarden et consoeurs, mais simplement parce qu'ils sont moins connus de tout un chacun...

Ben London (chanteur guitariste d'Alcohol Funnycar) : J'étais dans une petite université d'art dans le centre de l'Ohio appelé Antioch College, qui historiquement a toujours été très à gauche. Mon compagnon de chambrée était Steve Moriarty, qui a finit batteur chez les Gits, et dans la chambre d'à coté, il y avait Matt Dresdner, futur bassiste des Gits, et Adrian Garver, qu'on retrouvera plus tard à Seattle dans un groupe nommé the DC Beggars. On a monté un premier groupe ensemble : Big Brown House. The Gits s'est formé l'année suivante, avec Andy Kessler, ou plutôt Joe Spleen, comme il se fait appeler chez les Gits, à la guitare. La politique d'Antioch était ce qu'ils appelaient "l'éducation coopérative", qui permettait d'étudier pendant 6 mois et de travailler les 6 autres mois dans des lieux en rapport avec nos études. A un certain point, Matt, Andy et Mia Zapata sont donc allé bosser à San Francisco dans un lieu appelé "The Farm" - qui était une sorte de ferme urbaine où il y avait pas mal de concerts punk - ils ont formé là bas la première version de The Gits. A leur retour, The Gits et Big Brown House ont coexisté, en partageant leur batteur : Steve.

Au fil des ans, comme on voulait tous continuer à jouer de la musique, on a commencé à discuter d'une possibilité de déménager, pour trouver le meilleur endroit ou se faire connaître. On avait 4 villes en vue : New York et San Francisco étaient trop chères, Chicago trop près d'où on était, Seattle semblait être la place idéale. J'étais fan de Soundgarden, mais on était à cent lieux de s'imaginer ce que Seattle allait devenir. On est arrivé en force, en aout 1989. C'était pas seulement les membres des Gits et de Big Brown House, mais d'autres comme Valerie Agnew, qui allait devenir batteur chez 7 Year Bitch.

Matt Dresdner (bassiste des Gits) : Quand on est arrivé à Seattle, Valerie sortait avec Steve, notre batteur. Et moi avec Stefanie Sargent (future guitariste de 7 Year Bitch). Elles voulaient monter un groupe ensemble, donc on les a aidé. Elles ont commencé dans notre salle de répèt au RatHouse. On leur a apprit à jouer de leur instrument.

Ben London : RatHouse était le nom du collectif. C'était le centre communautaire de notre petite scène. Certains d'entre nous y vivaient, Mia Par exemple.

Sur ces bases vont se monter et coexister trois groupes : The Gits, 7 Year Bitch (Valerie Agnew, Stefanie Sargent, Selene Vigil, et Elizabeth Davis) et Alcohol Funnycar (Ben London). Dans un esprit communautaire hors pair, chacun se serrant les coudes, le collectif fait son trou à Seattle parmi la multitude de groupes déjà en place...

Elizabeth Davis (bassiste de 7 Year Bitch) : J'avais étudié à la Walla Walla University (une des universités adventistes du 7ème jour aux States), et avait eu une éducation qui allait dans ce sens. Je venais de bosser sur un bateau de pèche en Alaska avec mon copain, dont le port d'attache était à Seattle. C'est comme ça que je suis arrivé en ville. J'ai trouvé un boulot au marché de Pike Place, et il s'est trouvé que je bossais avec ces deux filles, Valerie et Selene. Pour moi ces filles étaient les plus chouettes personnes que j'avais eu l'occasion de côtoyer à Seattle, j'étais vraiment fans d'elles. Et puis un jour j'ai vu Valerie dans la rue avec des cymbales. Moi je commençais à jouer de la basse. "Pourquoi tu viens pas jouer avec nous?" Notre premier show était en ouverture des Gits au Ok Hotel. on avait besoin d'un nom pour le flyer, et Ben London a proposé celui là : 7 Year Bitch.

Alors que The Gits, plus expérimentés, servent au collectif de locomotive, 7 Year Bitch tire son épingle du jeu en imitant au mieux ses glorieux ainées et amis, grillant les étapes en enchainant les concerts... Au point de passer en deux années de petit groupe amateur à première partie de groupes confirmés... Les filles ne manquent pas de charmes et de joie, et s'ouvrent facilement les portes de l'underground à Seattle :

Selene Vigil (chanteuse de 7 Year Bitch) : On a joué dans une soirée privée chez un professionnel du snowboard, et c'est là qu'on a rencontré Eddie Vedder et son ex copine Beth. Elle aimait vraiment notre groupe. Eddie est devenu un ami.

Valerie Agnew : C'était en 1992, Pearl jam devait assurer les premiers parties d'une tournée avec les Red Hot. Mais PJ ne pouvait pas jouer tous les shows, donc le Red Hot Management leur a demandé qui serait en mesure de les remplacer, et Eddie leur a conseillé de nous appeler. Je me rappellerais toujours le jour où ils ont appelé. Il y avait ce message sur le répondeur, on en est tombé sur le cul, on criait et on rigolait comme des folles. "Pas possible, le management des Red Hot nous appelle, nous?"

Les trois groupes signeront tous chez C/Z Records, l'autre label de Seattle, plus connu des fans de grunge pour avoir sorti en 1986 la bible des compil' grunge : Deep Six...

Steve Moriarty : On était pas proche du tout de Sub Pop parce qu'on se sentait des puristes du punk. Mudhoney avait en quelque sorte, pour les fans, été instrumentalisé par Sub Pop. Ils en étaient un peu aigris et se retrouvaient plus dans nos valeurs à nous. The Gits représente plus les bas fonds de Seattle.

Selen Vigil : On était constamment catalogué grunge ou riot grrrl. Ouais, on l'était peut être un petit peu, mais pas totalement. Plus ou moins... mais non. On faisait juste une musique agressive, punk, in your face.

Valerie Agnew : On a définitivement été considéré comme Riot Grrrl, ce qui était vraiment frustrant. On n'avait rien contre elles, mais en fait on n'avait rien à voir avec elles. On avait des idéaux féministes. On connaissaient ces filles, on adoraient leurs groupes, mais on n'en était pas.

Matt Dresdner : On était très proche des 7 Year Bitch, on se soutenait énormément, alors quand d'un coup elles ont commencé à attirer l'attention, on était super heureux pour elles. On avait été un peu comme des mentors pour elles, et je pense qu'elles avaient cette reconnaissance de ça. Quand elles ont été filmé pour le documentaire Hype! et qu'elles ont appris qu'on ne seraient pas dessus, elles leurs ont dit qu'ils seraient vraiment trop cons de ne pas nous mettre sur le film. C'était une relation supportive, collaborative et très aimante entre nos deux groupes.

Le collectif verra cependant arriver des jours sombres : Stefanie Sargent succombe à une overdose en 1992, alors que Mia Zapata sera violée et assassinée à la sortie d'un bar un an plus tard... (son meutrier n'étant retrouvé que 10 ans plus tard grace aux techniques de recherches par ADN)... Ce fait divers ébranlera en profondeur la communauté musical de Seattle dans son ensemble... De là découlera d'ailleurs la création du collectif Home Alive, appelé à chercher des fonds et proposer aux femmes l'apprentissage de la self defense... Une compilation sortira en 1996 pour soutenir l'organisation, avec nombres de groupes de Seattle, et pas des moindres (Nirvana, Pearl Jam, Soundgarden, the Posies, the Fastbacks...)

Valerie Agnew : Une des choses qui a découlé de cette tragédie, c'est Home Alive, ce collectif que j'ai co-fondée avec 8 autres femmes. C'était une organisation non lucrative qui avait pour but d’informer sur la violence faite au femmes, mais surtout d'offrir les moyens aux gens de se défendre. Eddie Vedder a été le plus grand soutien d'Home Alive. Il nous a mit en relation avec Epic Records, et nous a permit d'enregistrer une compilation qui a rapporté 200000$ à notre cause et nous a fait énormément de pub. Eddie est un gars modeste, humble, et à un moment on a arrêté de le remercier à tout bout de champ, mais il a vraiment fait un taf énorme pour nous. On a été capable d'apprendre à pas mal de monde à devenir des "botteurs de culs" avec tout ce fric.

Elizabeth Davis : J'ai été subjuguée par le support qu'on nous a donné pour cette compilation. Tous ces groupes différents, du petit garage band jusqu'à Soundgarden

Steve Moriarty : J'avais organisé une soirée pour récolter des fonds pour pouvoir embaucher un détective privé qui puisse faire des recherches sur le meurtre de Mia. TAD était prévu en tête d'affiche, et ils en ont parlé à Kurt Cobain. Kurt m'a appelé  en disant : "J'ai entendu que tu organisais ce show. Est ce qu'il y a moyen que Nirvana en soit?". "Fuck, yeah!". Et c'est comme ça que Nirvana a joué l'un de ses derniers shows à Seattle...

Voilà pour la petite histoire de ce collectif venu d'ailleurs, mais adopté définitivement par la grande famille du grunge de Seattle, et qui en a marqué l'histoire!!! Les trois groupes tourneront nationalement et internationalement, l'explosif Alcohol Funnycar notamment avec Green Day, Bad Religion ou Elliott Smith... Ben London et son acolyte Tommy Simpson (Love Battery) viennent de reformer Alcohol Funnycar, alors que le premier cité est toujours actif avec son autre groupe STAG (avec l'ex chanteur du groupe anglais That Petrol Emotion, Steve Mack, originaire de Seattle)...



Des morceaux géniaux à chercher dans la playlist Grooveshark à droite...

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